Sursaut BnF

Blog des élus de la liste FSU et non-syndiqués au Conseil scientifique de la BnF

PornGallica ?

Lors du dernier Conseil scientifique de la BnF, le 13 décembre dernier, un point de l’ordre du jour concernait Gallica. Alors que la direction ne souhaitait parler que des évolutions techniques (qualité du zoom, etc.), le débat s’est vite cristallisé sur une question autrement plus importante, celle du profil documentaire de la bibliothèque numérique et de son avenir.

Conçue originellement comme un moyen de donner accès à tous à distance, gratuitement  et en texte intégral aux documents patrimoniaux conservés à la BnF et dans d’autres bibliothèques françaises, la bibliothèque numérique connaît aujourd’hui un début de dérive  susceptible de mettre, à terme, son identité en danger. Avec l’intégration croissante d’ouvrages sous droits et payante d’e-distributeurs qui l’utilisent à des fins purement  commerciales, cet outil essentiel est dès aujourd’hui dévoyé. Le logo Gallica, identifié partout à travers le monde à la Bibliothèque nationale de France, estampille aujourd’hui tout et n’importe quoi.

Ainsi un lecteur désirant trouver des ouvrages numérisés sur Marseille pouvait-il il y a quelques jours y faire d’étranges rencontres. A la page 4 des résultats, obtenue par la recherche simple, cohabitaient ainsi L’aviateur anglais, un roman des éditions Phébus paru en 2011 , le plan d’une écluse à Vanne  de 1787 conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal, un journal hebdomadaire marseillais du 19e siècle (provenant des fonds du département Presse de la BnF), un manuel Hachette de 2010 Droits fondamentaux et libertés publiques et cinq ouvrages pornographiques contemporains publiés par Média 1000 dont l’ « intrigue »  se déroulait à Marseille: La Fliquesse lubrique, Bondages, A la campagne, je faisais la petite cochonne, J’étais la secrétaire d’un obsédé.

Très curieuse découverte d’autant plus que ces  ouvrages de Numilog portaient le logo de subvention du Centre national du Livre (CNL).

Ce mélange des genres et cette utilisation plus que perturbante des crédits CNL, pointé du doigt par les élus FSU, n’a pas manqué de provoquer un débat animé au sein du Conseil scientifique.

Au-delà du caractère incontestablement grossier de ces publications n’y a-t-il pas à craindre que ce mélange des genres nuise à la lisibilité du projet patrimonial originel ? Que la richesse de l’offre d’ouvrages numérisés soit noyée dans une masse informe et sans contours ? N’y a-t-il pas déjà une perte de contrôle de la direction de l’établissement devant l’appétit de « partenaires » privés qui recherchent la rentabilité avant toute chose ?

 Au lendemain du Conseil scientifique et suite à la parution de l’article d’Actualitté  d’hier qui a fait beaucoup de bruit dans la biblioblogosphère (Bnf : Numilog alimente Gallica en ebooks pornographiques), la direction de l’établissement s’est empressée de supprimer ces ouvrages de la maison d’édition Media 1000. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Ceci dit, le problème reste entier : cohabitent toujours dans Gallica des ouvrages patrimoniaux consultables gratuitement en texte intégral sélectionnés par les bibliothèques et des appels publicitaires vers le tout venant de la production éditoriale qui renvoient vers des e-distributeurs et leur système de pay per view.

Le débat a permis de délimiter deux positions au sein du Conseil scientifique :

  • D’un côté le Président de la BnF, le directeur des services et des réseaux et le directeur de la BPI qui militent, au nom d’un pragmatisme mou et d’une conception marketing de la modernité, pour la transformation de Gallica en un vaste réservoir informe de données numériques, auquel ils donnent le nom de point unique d’accès. Tout doit être stocké au même endroit : collections patrimoniales, dépôt légal, production commerciale sous droit, etc. Ils sont soutenus en cela par le ministère de la Culture qui fait manifestement de cette affaire un enjeu politique. Nous noterons cependant que le représentant de la tutelle n’a pas cherché à conférer un vernis scientifique à cette position. Pour lui, il s’agit surtout de faire des économies et d’imposer au passage la règle sacro-sainte du partenariat public-privé, destinée, à terme, à réduire les investissements de l’état !
  • De l’autre, la majorité du Conseil scientifique (universitaires, personnalités qualifiées, éditeurs, bibliothécaires)

Pour nous, il s’agit désormais de veiller à ce que Gallica continue de s’enrichir sur la base d’une politique documentaire conduite par les bibliothécaires et dans le respect des missions de service public dévolues à la BnF. Seule cette affirmation permettra de développer une bibliothèque numérique de qualité, aux contenus maîtrisés et organisés, digne de notre établissement et de sa tradition intellectuelle et scientifique.

Cette position devra être défendue contre les tenants du mercantilisme et de la dissolution de la culture dans le grand bazar libéral. Nous serons de ce combat. Avec tous ceux qui tiennent à ce que la BnF reste un lieu de partage et d’enrichissement des savoirs.

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